Le vert corridor et le mythe de Kak’Tal
Par Le gardien le mercredi 21 septembre 2022, 21:19 - Royaume de Dor - Lien permanent
Un jour, le grand Soulag Vashmou Varrashek le convoqua dans la grande salle du trône. Ce n’était pas de bon augure pour sa prochaine expédition. Le Soulag était le plus haut rang chez les shamans de Kak’Tal, et il était extrêmement rare qu’il s’adresse directement à un gobarp. Devant la porte de la salle du trône, assis sur une pierre, le petit Shuim Shom Skek attendait en se rongeant les ongles des arpions.
Puis la
grande porte s’ouvrit et sous son immense arche de pierre, Skek entra dans le
couloir qui menait au trône. Ce n’était pas la première fois qu’il entrait dans
la pièce. Il était venu ici, il y avait déjà dix ans, lorsqu’il avait été
choisi pour arpenter le vert corridor. La salle du trône était immense taillée
dans la roche par un autre peuple. On y voyait des géants avec de longues
barbes et de grands marteaux gravés méticuleusement. Ces statues sortant de la
roche étaient faites pour imposer le silence aux visiteurs. Skek le savait.
Mais cette fois était bien différente de la première. La peur le tenaillait. Il
se remémorait rapidement les chemins qu’il avait choisis, les corridors qu’il
avait traversés. Il ne voyait pas ce qu’il avait fait de mal, et la terreur
commençait à le submerger. Face à la montagne d’ossements, et au trône noir,
Shuim Shom Skek, le Gobarp se jeta à terre. Il tremblait sous sa cape.
En face de lui, le roi était présent. A ses côtés, le grand Soulag était vêtue d’une robe rouge, recouverte d’ossements humains et elfiques. Dans sa main droite, il tenait le bâton du culte, celui qui se terminait par une griffe de Seldrôm. Skek avait une excellente ouïe. Et même si le Grand Soulag semblait flotter dans les airs lorsqu’il avança, il l’entendit. Il l’entendit descendre et venir vers lui. Skek tenta de contenir ses tremblements et leva la tête lorsque le Soulag lui adressa la parole.
« Gobarp, toi le plus expérience arpenteurs. Ton tipa et grand-tipa étaient gobelins des sentiers et soldat… Toi partir vers le nord, dans territoires rouges. Arpenter leurs sentiers rouges et trouver quoi qu’ils découvre dans profondeurs corridors. Toipa stop en chemin. Toujours courir. Toipa chasse, Toipa pèche, Toipa pierre. Toipa vol. Toi pars, toi cours, toi écrabouilles et passes. Toi regarder, écouter. Aller et rentrer après. » Il tendit le doigt vers la grande porte. Skek leva les yeux vers son roi.
« Toi va ! ».
A ces mots, le roi leva sa grosse main et la laissa retomber sur l’accoudoir du trône. Skek se retourna et courût.
Il dévala les
pentes poussiéreuses qui menaient aux galeries du nord. Le sable s’écoulait de
la faille, partout, en des rivières d’or et de lumière éblouissante. Il était
presque impossible de remonter ces courants. Le danger menaçait partout. Mais
Skek, du peuple des sentiers, Shuim Shom Skek le arpenteur, les connaissait
tous. Il savait comment les éviter, quel chemin prendre, quel moment choisir
pour passer, quel grotte il ne fallait pas visiter.
Dans sa course, Skek se mit à réfléchir. D'après son meilleur amiping, c'était son plus grand
défaut. Pour lui, réfléchir peut te casser la tête et te rendre fou. Ping était devenu fou et il ne voulait pas que cela arrive à Skek.
Il réfléchit à sa mission. Le peuple vert était en guerre contre le peuple
rouge depuis plusieurs générations. Mais depuis quelques mois, depuis la guerre
des verts corridors, la paix régnait.
Alors pourquoi aller leur chercher des poux ?
Il courût
pendant deux jours sans se reposer. Au terme de sa course habituelle, il s’engagea
sous un immense rocher noir, dans un passage haut d’une vingtaine de
centimètres. Il rampa pendant plus de deux cents mètre pour atteindre une rivière
souterraine. Il connaissait bien ce coin. Il remonta la rivière tranquillement.
Celle-ci disparu sous la roche. Il s’arrêta heureux. Il y avait ici un mausolée.
Une vieille sépulture Kalgadokai. C’est là que skek cachait ses « trouvailles »,
des objets qui ne servaient à rien, mais qu’il trouvait beau. Encore un autre
de ses défaut.
Il s’avança jusqu’au mausolée et posa sa main sur les gravures anciennes qui
représentait des elfes, des sorcières, et des gobelins. Tous semblaient en paix
et célébraient une Kalgadokai à la longue chevelure. Même en gravure, elle
apaisait le cœur du petit gobelin.
Après avoir vérifié
que tout était en place, il vint devant l’autel et présenta ses hommages à la défunte.
Puis, il se faufila à nouveau par une brèche en se contorsionnant pendant des
heures. Ce passage était vraiment très difficile mais n’était rien comparé à ce
qui l’attendait à la fin de la faille. Juste avant de sortir, il devait
traverser un flot de sable lourd comme de la boue, en retenant sa respiration.
Une fois la tête et le buste hors du sable, il devait encore se hisser sur le
côté pour pouvoir descendre. Au-dessus de lui, à plusieurs centaines de mètres,
la pale lumières du jour dardait quelques rayons vers les profondeurs. Il
venait d’atteindre la forêt de jade par un raccourci que personne ne
connaissait. Ce passage lui faisant gagner trois jours de course, il prit un
peu de temps pour se désaltérer contre la roche humide, avala quelques touffes
de mousse et quelques araignées délicieuses. Et il se remit à désescalader discrètement.
La forêt de jade était un lieu mystique, même pour les gobelins rouges. C’était une vieille forêt qui avait abrité un petit clan de sorcières des bosquets. Bien-sûr, il n’en restait plus aucune. Toutes avaient été massacrées par les sorcières de feu, et ajoutées au mortier des tours maudites. Mais la forêt était encore puissamment imprégnée de leur aura. Skek avança entre les vieilles souches difformes, et baissa la tête en signe de respect. De nombreuses créatures vivaient ici, sous la protection de la forêt. Les gobelins rouges n’y chassaient que très rarement, et encore, à la lisère. L’âme de la forêt de jade transcendait Skek et jamais il n’en avait eu peur. Cependant, au détour d’un immense sequoia, il reconnut une grosse racine sous laquelle il avait dormi un an plus tôt. Rien n’avait changé. Il décida de s’y reposer à nouveau. Demain, il commencerait son voyage vers des terres qu’il ne connaissait pas, en quête d’information dont il ne comprenait rien. Avant de s’endormir, la peur le tenailla une dernière fois, mais la fatigue l’emporta.
Skek laissait à présent la forêt derrière lui. Devant, c’était un bourbier étrange, fait de sable mouvant et de plantes grimpantes, étouffant de vieilles souches. Dans les bourbiers, Skek y allait peu. Celui-ci, il ne le connaissait que dans les histoires de son tipa. Quand son père était encore en vie, il lui racontait ses combats contre le peuple des marais et leur sable rouge. Il écoutait ses aventures avec un grand intérêt, un peu de peur, et beaucoup d’admiration.
Il traversa le bourbier en évitant à maintes
reprises le combat face à des araignées géantes. Il croisa deux ogres qui cherchaient
leur repas, mais qui ne le virent pas. Ce fut un véritable calvaire pour dormir
pendant trois jours. Lorsqu’il atteint les couloirs des corridors, il fut
soulagé. Maintenant l’ennemi pouvait être partout. Les gobelins rouges n’étaient
pas réputés pour leur discrétion, mais ils étaient plus forts et très
belliqueux. Une histoire lui martelait la tête pendant qu’il s’engageait vers
les terres rouges : celle du roi sorcier hobgobelin. Ce maitre de la magie
avait parait-il, la puissance des mages elfes, mais il souffrait d’une
malédiction qui l’empêchait de sortir de son domaine. Et lui, petit
gobarp, il allait au-devant de ce sorcier. Il frémit.
Les couloirs du territoire rouge étaient de vrais labyrinthes. Partout ou Skek
passait, il mémorisait l’humidité, la profondeur, chaque aspect du sol, chaque
type de plante, chaque odeurs, chaque faisceau de lumière. Pour se repérer, il
était le meilleur. Il n’aurait aucun mal à revenir chez lui.
Très vite il croisa une patrouille de gobelin rouge. Ils étaient tous armés d’une petite hache, d’un bouclier rond et d’un casque de fer. Certains portaient même des pièces d’armure de cuir ou d’acier. S’il devait se battre, il n’aurait aucune chance. Il les suivit, puis en suivit d’autres, et encore... Toujours il s’enfonçait dans les profondeurs. Fort heureusement, il put dormir un peu sous une roche saillante à vingt centimètre du sol. C’était peu confortable, mais il ne risquait rien, ainsi recroqueviller dans un trou, emmitoufler dans sa cape. Il arpenta les couloirs de la forteresse rouge pendant des jours sans trouver de réponse, ni de chemin vers cette « découverte » que le peuple rouge avait faite.
Un jour
enfin, il entendit une conversation entre un chef mineur et son supérieur. Le
premier s’appeler Gruikomk. Il se faisait engouler parce qu’il n’avait pas prévenu
le second au sujet d’un pont détruit. De ce que Skek compris, il y avait un
pont qui enjambait jadis une rivière en feu qui menait à un passage lui aussi éboulé.
Le supérieur se nommait Azkkark Grouish. C’était un contremaitre. Skek écouta
attentivement et compris que, de l’autre côté du pont, derrière cet éboulement,
les gobelins rouges s’attendaient à trouver une relique. Cet objet devait
appartenir à un ancien peuple des profondeurs. Skek entendit prononcer le nom
de Kalaantar. Gruikomk se retourna et vint vers Skek. Le second reprit son
chemin vers le bas. Prudent par nature, Skek préféra faire demi-tour pour
laisser les deux gobelins.
Il arpenta une journée de plus pour enfin trouver le corridor qui menait au
pont. Le chantier était immense sous un plafond de plusieurs dizaines de mètres.
Les gobelins travaillaient dur. Il y avait aussi des golems de pierre qui leur prêtaient
main forte. Leur chef sorcier était vraiment puissant.
Skek tenta de se faufiler au plus près du pont, que les gobelins rouges
reconstruisaient. Il faisait très chaud dans cette immense pièce. La rivière de
feu n’était pas un mythe. Elle s’écoulait deux cents mètres plus bas. Skek pu
même apercevoir ses remous jaunes et rouges vifs qui illuminaient les
profondeurs. Skek frissonna. Quelque chose de terrifiant était en train de se
passer. Il ne savait pas si c’était la menace des gobelins rouges tout proches,
la rivière de feu infernal en bas, ou ce qu’il y avait de l’autre côté, qui le glaçait
ainsi. Il décida de rentrer. Il en avait bien assez vu.