Tyf le ratlaine

Le couloir était sombre et étroit mais cela ne l’inquiétait pas, tant il avait été habitué tout au long de sa courte existence, à se trainer, discrètement sous les tables, les bancs, ou par les fenêtres étroites donnant sur les caves de la cité de Shaï. Ce couloir-ci était juste plus long, inconnu, et sensiblement plus dangereux s’il se faisait prendre.

Après quelques minutes, il bifurqua sur la gauche, comme l’indiquait les marques étranges que lui avait indiqués Marlo. Ni les rats, ni les araignées n’osaient s’aventurer ici. La magie était palpable, puissante, et Tyf savait qu’il devait faire vite. Encore un croisement se présentait, qui lui demanda de bien regarder son petit bout de cuir, indiquant les symboles à suivre. Le couloir à emprunter descendait en pente raide et devenait vraiment étroit et glissant. L’humidité qui s’accumulait dans le boyau était une aubaine pour les mousses fluorescentes des profondeurs. Ces petites lumières étaient plus gênantes que la noirceur, car Tyf était tantôt ébloui, tantôt aveugle, à la recherche des aspérités du tunnel.

Le  conduit  était devenu vertical ; l’arrivée sur la petite pièce circulaire lui demanda toute sa concentration pour ne pas tomber.  Il se lâcha sur la grille épaisse qui fermait le conduit. Le passage était verrouillé par un gros cadenas. Il ne lui fallut que quelques secondes pour le crocheter en silence.

Dans la pièce en contrebas, il atterrit tel un chat, et silencieusement observa les environs. C’était un local pour marchandises et provisions, probablement la réserve de la garde. Il y avait deux tonnelets, des fruits secs, de la viande séchée, deux arbalètes, un tonneau rempli de carreaux planté dans du foin, et deux hachettes. Sous un tas de couverture, Tyf découvrit plusieurs cordages de soie. Il en prendrait assurément  une avant de repartir. La corde de soie valait une fortune à Shaï.
Sous la lourde porte, une lueur bleue vacillante semblait forcer son passage pour toucher Tyf. Il n’était pas sujet à la peur, mais dans un lieu inconnu, et face à la magie, sa volonté était légèrement ébranlée. Il colla son oreille sur le chêne de la porte et écouta la conversation des deux… Non ! Trois gardes moines sang.

« Qu’est ce qui fout le morlo la, y’a des Beiaunes qui s’rait parti pou’ moins qu’ça ! »

« T’es vraiment forcé d’aboyer comme ça. L’aut’givenneur risque dt’entendre, et s’enfiler la venelle… On sr’a bien »

Le dernier se racla la gorge, comme pour essayer de crier en silence.

« MmmGrr. L’méquard arrive. Silence ! »

TYf, sauta dans le tonneau de munition et se cacha sous le foin au moment où l’un des gardes entra dans la pièce pour y attraper un jambon. Il ressortie aussitôt pour en tailler des morceaux et les présenter à son chef. IL se faisait appeler Guilate. Son accent n’y trompait pas, c’était un assassin de Len.

« Alors mes chers acolytes, ou en sommes-nous arrivés ? Notre mission sacré touche te elle au but ?
« Oui mec, on n’est pas loin d’avoir not’ fade ? Z’avez pensé à la goulpine ? »

« J’ai votre breuvage ! Ouvrez la porte et réveillez-moi le mage qu’il ouvre enfin ce crapaud, comme vous dites. »
Puis  les pas des 4 individus s’éloignèrent du local, dans un couloir en direction du nord-est. Tyf brulait d’en savoir un peu plus, et entreprit d’ouvrir discrètement la porte. Il sortit en silence du tonneau, et remarqua que l’obscurité était totale.  D’une étrange manière, la porte semblait vraiment lourde sur ses gonds. Il força un peu, et lorsque la poignée fut suffisamment baissée, la porte s'ouvrit brusquement pour laissant choir l’un des gardes dans la petite pièce, qui était appuyé contre. Le bruit fut chaotique, mais Tyf n’intervint pas. Il laissa le garde se relever et jurer. Les autres crièrent pour qu’il rende compte. Ce qu’il fît, non sans jurer une nouvelle fois contre la porte et l’obscurité.  Une fois qu’il se fut redressé, Tyf lui assena un violent coup de hachette lancé sur son crâne. S’il n’avait pas encore la force de le lui fendre, il en eut suffisamment pour offrir quelques doux songes au soldat. Il ramassa la hachette, et s’aventura dans le couloir qui descendait, suivant à la voix le fameux Guilate et ses sbires. Les marches étaient interminables, et les voix qui semblaient proches au début, n’étaient en fait que des échos remontant des profondeurs. Quelques minutes plus tard il se retrouva non loin de l’entrée d’une grotte illuminée par des torches. Une fissure dans la paroi permettait d’épier depuis les hauteurs.  En bas, assis sur une paillasse au sol, un homme âgé discutait avec un des soldats. Les deux autres se tenaient en retrait,  chacun avec une torche brulant d’un feu bleu, entre les mains.

« Oui, oui, laissez-moi le temps de me remettre. Je vous ai déjà prévenu qu’il ne fallait pas précipiter le crochetage. Sans ça, le roi sorcier le sentirait ».  Le mage se tordit de douleur et se cabra pour se mettre debout d’une manière totalement spectaculaire. Telle une poupée de chiffon, il se déplaça vers les runes qui entouraient une porte en fer noir. La porte était semblable à toutes les portes fortifiées de la cité de Shaï, mais les runes ne ressemblaient à rien que Tyf eut pu apercevoir dans les grimoires de la guilde.

Le mage semblait vraiment souffrir, et Guilate, très concentré, ne disait plus rien. Les deux gardes préféraient tourner la tête et regarder partout sauf en direction de leur chef. Tyf dû se recroqueviller pour ne pas être vu. L’assassin devait avoir un pouvoir, un genre de magie capable de contrôler par la pensée. Et le mage prisonnier en faisait les frais.

Dès qu’il le put,  Tyf jeta un coup d’œil sur son plan, mais il le sentait, de toute façon.. Le passage se trouvait derrière cette porte. Que pouvait bien vouloir ces faux gardes à l’accent bizarre, et ce Lenak ?

Il fallut que le mage se mette à saigner du nez, des oreilles puis des yeux pour que Guilate daigne relâcher son emprise. Cette fois c’était sûr. C’était un psionique. Tyf en avait entendu parler. Ils étaient originaire d’extrême occident, un peuple sauvage vivant dans une immense forêt. Ils se les étaient imaginés avec de grandes cornes au-dessus des oreilles,  des petits yeux de cochon, et un pagne pour seul vêtement. Assurément, il s’était trompé. Le mage s’écroula avec fracas au sol, et sorti Tyf de ses rêveries.

« Bon, va nous falloir trouver un autre mage, celui-ci n’est plus bon à rien. »

Tyf devait remonter les marches quatre à quatre discrètement pour ne pas être vu par la troupe, mais quelques chose l’en empêcha. A la lumière de la torche, Il entrevue le visage du mage, et le reconnu aussitôt : Kaalt, l’apprenti officiel d’Elfoë. Il ne pouvait le laisser ici. En remontant les escaliers, il se mit à penser qu’Elfoë était au courant de sa capture. Mais pourquoi ne lui avait-il rien dit ? S’il avait pensé que la porte fut déjà ouverte, peut-être avait-il préféré ne rien lui dire sur le mage qui  aurait probablement péri au crochetage des runes. Après tout, Tyf n’était qu’un enfant de dix ans. Grace à sa petite taille, Tyf pu se glisser dans une fissure et laisser passer Guilat. Ce dernier remontait seul car il avait demandé à ses hommes de transporter le cadavre du mage.

Heureusement que cet escalier était long. Celui qu’il avait maudit en descendait, fut remercier quelques minutes plus tard. Il avait le temps de s’occuper des gardes, mais cela ne serait pas si simple. Ils étaient deux, costauds et armés. De plus, leur chef ne tarderait pas à venir, une fois le fracas de la bataille commencé. Il décida de les laisser peiner un peu dans les escaliers, pour gagner du temps, et les fatiguer. Il tira son petit surin, et prit sa fiole de mortepine, un poison violent, rapide et paralysant. Nul besoin de tuer deux pauvres étrangers. Lorsque les soldats furent arrivés au milieu du couloir, alors que Tyf allait agir, le mage se réveilla. Il ne lui fallut que deux secondes pour endormir le premier et hébéter le second. Mais cela ne se fit pas sans un bruit. L’assassin se téléporta aussitôt à quelques mètres de Kaalt. Alors que Tyf avait déjà commencé son mouvement de lancer vers un des soldats, il fit tourner son poignet sèchement pour réorienter son tir vers l’assassin de Len. Ce dernier, qui ne s’attendait pas à voir j’jaillir un couteau, l’esquiva de justesse. Mais la lame lui fendit la joue, il s’écroula stupéfait en quelques secondes. Kaalt avait utilisé les dernières forces qu’il lui restait, et s’écroula de concert. Tyf ne put s’empêcher de ricaner :

« Bah ! On est bien, là ! »

Il ligota tout ce beau monde en prenant bien soin de ne laisser aucun sens à Guilat. Ce dernier était saucissonné et emmitouflé, la tête la première dans le tonneau à carreaux d’arbalète. Les autres gardes étaient attachés, et pendus par les pieds à la grille du plafond de la réserve. Lorsque Kaalt se fut remis de ses émotions, Tyf lui expliqua le plan de maitre Mrinir afin qu’il finisse d’ouvrir la porte de sa pleine volonté. Ce qu’il fit. Les deux apprentis entrèrent et débouchèrent dans un nouveau couloir. Cette fois-ci, il était fait de belles pierres et menait aux célèbres geôles de ShaÏ .

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